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Le libéralisme est un totalitarisme

Notre Histoire s'écrit -aussi- en Slovénie

22 Février 2013, 21:40pm

Publié par Marianne

Tous les peuples européens sont confrontés aux mêmes impasses néo-libérales et partout la révolte gronde.


Ces révoltes sont généralement occultées par les médias, et au mieux l’on n’y trouve  que l’écho de leurs aspects les plus spectaculaires. Seuls des articles parus dans le Monde diplomatique, des revues spécialisées ou militantes permettent de comprendre le sens de ces révoltes et leur parenté profonde.


La Slovénie, jusqu’à une période récente, était la « succes story » d’un pays « ex-communiste » qui validait, par l’exemple, les bienfaits de l’intégration dans l’Union européenne et de l’adoption des politiques libérales. Le parcours de ce petit pays, de son appartenance à l’ex-Yougoslavie à la crise actuelle, démontre en fait le caractère destructeur de la voie libérale dans laquelle tous les pays d’Europe se sont fourvoyés. L’histoire récente de la Slovénie constitue un miroir dans lequel nous pouvons reconnaître les mécanismes qui mènent l’Europe à la même crise économique, sociale et politique.

Le mirage du capitalisme

 

En 1991, la Slovénie et la Croatie, les deux Etats les plus riches de la Yougoslavie, déclarent unilatéralement leur indépendance. L’économie yougoslave a suivi les mêmes tendances que celle des pays occidentaux : une forte croissance jusqu’à la fin des années 1970, qui va élever considérablement le niveau de vie ; la hausse du prix du pétrole puis l’augmentation des taux d’intérêt au début des années 1980, vont provoquer un endettement important et une décennie de crise économique. Les pays les plus riches de la Fédération ne veulent plus participer à la redistribution des ressources.


La déclaration d’indépendance des deux République prend place entre la chute du mur de Berlin (16 novembre 1989) et celle de l’URSS (dissolution le 26 décembre 1991). L’Allemagne et le Vatican s’empressent de reconnaître les deux nouvelles Républiques. Les autres Etats européens, les Etats-Unis, le FMI… étaient plutôt au départ favorable au maintien d’une Yougoslavie qui aurait troqué le socialisme autogestionnaire pour le capitalisme libéral ; mais ils ont entériné le fait accompli d’une sécession qui allait entraîner inexorablement l’explosion de la Yougoslavie, avec son cortège de guerres et d’épurations ethniques.


L’Allemagne est intéressée par « l’indépendance » de ces pays dont l’industrie est performante, mais dont le coût de la main-d’œuvre est tout de même inférieur à celui qui prévaut en Europe occidentale. Le Vatican, pour sa part, considère que le dogme et le salut des âmes ne sont jamais mieux servis que par une politique très terrestre de défense de ses intérêts matériels et géopolitiques : Slovénie et Croatie sont deux Etats à majorité catholique.


Pour la Slovénie et la Croatie, l’enjeu de l’indépendance est non seulement de ne plus contribuer au Fonds de solidarité des régions défavorisées, mais il est également lié aux profits attendus des privatisations à venir. De plus ces deux pays espéraient rejoindre bientôt la Communauté européenne, et à travers elle l’Occident et son image de prospérité. Les Slovènes étaient globalement deux fois plus riches que la moyenne des Yougoslaves (et dix fois plus que les habitants du Kossovo).  Il se disait alors qu’il valait mieux être le dernier en ville (c’est-à-dire la communauté européenne) que le premier au village (la Yougoslavie…).


La Slovénie décide de jouer le jeu du capitalisme et un nouvel ordre se met en place, non sans rencontrer de fortes oppositions. La loi de restitution des biens des anciens possédants est fortement contestée. L’Eglise catholique redevient ainsi le plus grand propriétaire de domaines forestiers de toute l’Europe.


Les institutions issues de la période autogestionnaire étaient loin d’être toutes inefficaces ; à côté des parcelles privées et des coopératives, les combinats agricoles répondaient aux besoins alimentaires de la population. Les structures de santé et les crèches étaient gérées par des instances associant les salariés et les usagers.


La Slovénie découvre que sa prospérité était liée aux échanges avec les autres républiques ou provinces dont elle a voulu se séparer.  Son industrie y achetait à bas prix les matières premières qu’elle transformait ; l’ensemble yougoslave constituait un marché protégé facilitant l’écoulement de la production. Les zones de pêche slovènes sont amputées des eaux territoriales de la Croatie : plusieurs centaines de pêcheurs doivent revendre leur bateau.


La « transition » ne se fait pas sans soubresauts économiques. Les exportations avec l’Union européenne prennent peu à peu le pas sur les échanges que le pays continue d’entretenir avec les pays de l’ex-ensemble yougoslave. La « croissance » s’accompagne d’un chômage persistant. Le gouvernement n’applique pourtant les principes libéraux qu’avec prudence pour ne pas heurter de front la résistance sociale.


L’entrée dans la communauté européenne ne se réalise pas aussi rapidement que la Slovénie l’avait espérée. L’Etat slovène résiste à la Commission européenne qui la presse de réduire les  salaires et les impôts sur le capital pour attirer les investissements étrangers. Mais pour entrer dans l’Europe il lui faut pourtant passer par  les fourches caudines de ses exigences.


Le programme de privatisation s’accélère depuis les années 2000. La société suisse Novartis s’offre un des fleurons de l’industrie, l’entreprise pharmaceutique LEK. Le capital étranger rachète également dans la téléphonie, les banques, l’agro-alimentaire, les équipementiers automobiles, la production de ciment… L’acier est « restructuré »,  les entreprises du secteur sont privées de subvention suite aux « recommandations » européennes et  regroupées dans une holding en attendant le rachat par d’éventuels repreneurs. Le marché de l’électricité doit être progressivement ouvert aux fournisseurs étrangers.


De plus, l’Europe refuse la demande slovène de maintenir pendant dix ans ses accords de libre-échange avec les pays de l’ex-yougoslavie. Ceux-ci lui permettaient pourtant de maintenir son économie à flot en cas de baisse de la demande européenne. Elle doit dénoncer tous ses accords de libre-échange avant son entrée dans l’Union européenne au 1er mai 2004.


 Cette intégration à l’Europe favorise l’évolution libérale. Le marché s’ouvre aux complémentaires santé mais la privatisation des structures de soins n’attire pas les investisseurs : la clientèle solvable fait défaut. La précarité de l’emploi du public se calque sur celle du privé. L’instauration d’un taux unique de TVA frappe les slovènes les plus modestes dont la part du budget consacrée à l’alimentation s’alourdit.


Pourtant le système de relation sociale n’est pas profondément modifié en profondeur : les dispositifs mis en place dans « l’après-communisme », qui eux-mêmes empruntaient beaucoup d’éléments à la période auto-gestionnaire  sont toujours en place. La nouvelle loi sur les sociétés maintient le principe de la co-gestion ouvrière.


Malgré des concessions, la Slovénie continue également à trainer les pieds en matière de privatisation. Les prises de participation étrangères ont surtout contribué à recapitaliser des entreprises slovènes où l’Etat a veillé à garder une majorité de contrôle. Ainsi la Banque belge KBC n’a pas obtenu l’autorisation du gouvernement de porter sa participation de 35% à plus de 50% dans la Nova Ljubljanska Banka. Les deux grands fonds d’Etat, le fonds des pensions et le fonds des restitutions, sont présents dans toutes les entreprises importantes du pays.


Les exigences européennes s’alourdissent pour l’entrée dans l’euro qui a lieu en 2007. L’inflation doit être combattue : « l’ajustement » se fera sur le dos des travailleurs, au prix d’une importante rigueur salariale entraînant des grèves. Les retraites sont en partie désindexées.

La tourmente

L’entrée de la Slovénie dans le « Saint des saints » de l’intégration européenne et de l’ordre libéral, l’euro, est contemporaine de la crise dite des « subprimes » aux Etats-Unis.


La crise rattrape la Slovénie dès 2008. Pour tenter de l’endiguer, l’Etat verse en 2009 une compensation  en contre-partie d’une diminution de 8 h de la semaine de travail. Les syndicats dénoncent un système qui laisse de côté de nombreux travailleurs.


En 2010, suite à l’annonce du gouvernement de son intention de geler le salaire des fonctionnaires pendant deux ans, 80.000 fonctionnaires descendent dans la rue.


En 2011, la crise prend une nouvelle dimension. Le chômage a plus que doublé depuis 2008 (12%). Les exportations diminuent et la croissance s’enraye, la compétitivité se dégrade.


Ici comme ailleurs, la crise est l’occasion rêvée pour tenter d’accélérer les recettes libérales et le démantèlement des acquis sociaux. Selon le premier ministre –de gauche !- l'économie slovène pourrait reprendre plus vite si des réformes structurelles et des mesures d'austérité cruciales pour la compétitivité étaient adoptées plus rapidement.  Le parlement a voté la loi sur les retraites exigée par le FMI et l’Union européenne.  Pourtant l’endettement slovène n’a rien de monstrueux : 43% du PIB.


Grâce à une montée au créneau des syndicats et de l’opposition, les slovènes obtiennent d’être consultés par référendum sur la question des retraites.  L’épouvantail des agences de notation, celui de l’effondrement des finances publiques ont été agités en vain pour influencer les électeurs qui ne s’en sont pas laissé conter : à 70%,  ils ont rejeté le relèvement de la retraite de 63 à 65 ans.


Le gouvernement tombe suite à ce rejet et les élections de décembre 2011 ramènent au pouvoir une coalition fragile de partis de droite ; le nouveau premier ministre, Janez Jansa, se donne pour mission de sortir le pays de la crise.


 En avril 2012, Jansa annonce  un projet d’austérité drastique : salaires des fonctionnaires réduits de 15%, remise en cause du congé maternité et de la prime à la naissance, réduction des allocations chômage et des bourses d’études, etc.., conformément aux injonctions de l’Union européenne.


Plus de 100.000 fonctionnaires cessent le travail en avril à l’annonce de ces projets. Des syndicats de fonctionnaires (14 sur 21) finissent par signer un projet de compromis : les salaires sont amputés, en principe de manière momentanée, « pour le bien du pays », de 8%. Mais le ministre du travail estime que cette entente est insuffisante pour sortir le pays de la crise et laisse entendre que d’autres mesures austéritaires sont à prévoir.


Les coupes claires dans le budget sont pratiquées à tous les niveaux : le budget de promotion touristique de la Slovénie à l’étranger est amputé – et pourtant le tourisme génère 12% du PIB-. La représentation diplomatique du pays est réduite. Le ministère de la culture est purement et simplement supprimé. Un comble : Maribor, la deuxième ville du pays, est capitale européenne de la culture.


Un nouveau tour de vis s’annonce avec la crise du secteur bancaire. L’économie se contracte avec la baisse des exportations, conséquence de la crise mondiale, et le ralentissement du secteur immobilier. Les trois principales banques du pays font face à des impayés de plus en plus conséquents : les créances douteuses s’élèveraient à 6,5 milliards d’euros.


L’Etat est majoritaire dans deux des principales banques du pays. Alors qu’il ne sait déjà pas comment boucler son budget, il prévoit de dégager une enveloppe de 4 milliards pour provisionner les créances douteuses, qui seraient transférés à une nouvelle « entité ». Il prévoit le recours à des obligations pour un montant d’un milliard, pour contribuer à doter l’entité de défaisance.


Le 2 décembre, l’ancien premier ministre social-démocrate Borut Pahor est élu président de la République. Le premier ministre de droite qui reste en place, persiste dans ses projets de « réformes ». Il s’en prend aux institutions : ses projets visent le fonctionnement de la justice et la nomination des magistrats, le conseil constitutionnel qui serait supprimé, et d’autres mesures destinées à « débloquer le système politique ». Et bien sûr inscrire la « règle d’or » dans la constitution, tout en prévoyant les prochaines restrictions budgétaires, du budget de la Sécurité sociale, le report de l’âge de la retraite et la « flexibilisation » du marché du travail.

La révolte slovène : le feu couve sous la cendre

Le social-démocrate Borut Pahor,  ex-premier ministre démissionnaire, est élu en décembre Président de la République avec un score élevé (67%),  mais une faible participation, sous fonds de manifestations populaires. Borut Pahor a apporté son soutien au gouvernement conservateur, estimant que c’était la seule voie possible.


Les manifestations se multiplient depuis la fin de l’année dernière et le début de la nouvelle année. A Maribor, une révolte a éclaté quand la population s’est aperçue que le système de radars installé en ville pour contrôler la circulation avait coûté 5 millions d’euros aux deniers publics et que sa gestion avait été confiée à une société privée. Onze de  ces radars furent détruits, les mouvements spontanés durèrent plusieurs jours et furent vivement réprimés par la police.


A Ljubljana, la capitale, les manifestations prennent pour cible le parlement slovène et mettent en cause l’ensemble du personnel politique. Les liens douteux entre les élus et le milieu des affaires sont dans le collimateur des manifestants. En effet, plusieurs scandales ont éclaté, éclaboussant Jansa, mais aussi son opposant le maire de Ljubljana, et d’autres.


La jeunesse, dont les espérances sont frustrées, s’inspire du mouvement des indignés. Sa mobilisation passe beaucoup par internet ; elle réclame une démocratie directe.


Des intellectuels soutiennent le mouvement de contestation. Ils ont fondé le « groupe du 29 octobre », qui s’est joint aux syndicats pour organiser une journée d’action le 17 novembre, demandant la démission du gouvernement et la relance de l’économie.  Syndicats et intellectuels partagent la même analyse : le plan de sauvetage de la crise basé sur l’austérité n’est qu’un prétexte à casser les services publics. Réunis sous le slogan « Relevons la tête », les organisateurs ont l’intention de persévérer dans la poursuite de leurs objectifs.


L’opposition a tenté de se faire entendre en demandant un référendum contre la loi instituant la « bad bank » chargés des créances douteuses (soit en fait leur transfert à l’ensemble des citoyens) ainsi que la privatisation accélérée de toutes les entreprises publiques. La cour constitutionnelle ne l’a pas jugée recevable, au motif que ces lois seraient essentielles pour protéger le fonctionnement de l’État.


Comme dans d’autres pays, une nostalgie de l’ancienne Yougoslavie s’est développée en Slovénie. Cette nostalgie ne s’exprime pas sous la forme d’un projet politique mais manifeste l’attachement à des symboles et à la mémoire.


En attendant, le gouvernement n’a plus de majorité, même si le premier ministre mobilise ses partisans pour une « manifestation patriotique » opposée au mouvement de fond qui jette dans les rues de la capitale des dizaines de milliers de personnes. Le chômage au mois de janvier a cru de 5,2%. La crise économique, sociale, politique, idéologique est particulièrement profonde.


Face à une opposition politique ambigüe, elle-même compromise dans des scandales, mais qui essaye de tirer les marrons du feu, le mécontentement du peuple slovène cherche son chemin, entre « indignés » et nostalgiques de la Yougoslavie, entre intellectuels et syndicalistes… Notre histoire s’écrit aussi en Slovénie.


La question du partage de la baie de Piran, entre la Croatie et la Slovénie, fait toujours l’objet d’un litige qui semble ne pas pouvoir trouver d’issue par des négociations bilatérales.(Carte : www.amb-croatie.fr)

  (Carte : www.amb-croatie.fr)

Sources : Monde diplomatique, Courrier des Balkans, Le Courrier des pays de l'Est, articles de presse en ligne

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V
Wow. This is interesting. It is obvious that these links are aiming at future profits of privatization. Slovenia maintained a neutral stand and decided to play the game of capitalism. I think that was a wise strategy considering the circumstance.
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